L’enfant effectue ses premières armes linguistiques dans un contexte de très grande connivence, d’extrême proximité. Un contexte dans lequel le message souligne le partage d’une expérience plus qu’il ne fournit les moyens de découverte et de construction.
Progressivement cet enfant va s’adresser à des auditeurs nouveaux, communiquer des réalités moins immédiates, moins partagées. Alors que, dans un premier temps, il s’adressait à des gens qui le connaissaient parfaitement et qu’il connaissait parfaitement pour leur dire des choses auxquelles ces mêmes gens s’attendaient, il devra petit à petit s’adresser à des gens qu’il connaît beaucoup moins et leur parler de choses auxquelles ils s’attendent beaucoup moins.
Plus j’avance dans ma réflexion, plus je pense que c’est vraisemblablement la maîtrise de la langue orale qui conditionne un destin scolaire et un destin social. Plus encore que la communication écrite. La maîtrise de la communication orale permet seule d’échapper au ghetto sémiologique auquel condamne l’insécurité linguistique. En ce sens elle constitue un des instruments efficaces de lutte contre l’exclusion et la violence : lorsque les paroles ne portent pas, les coups prennent le relais (j’emprunte cette phrase à Philippe Meirieu qui l’utilisa lors d’une discussion sur ce sujet).
Linguiste, Alain Bentolila est Professeur à l’université Paris V. Fondateur de l’Observatoire national de la lecture en France, il est membre de l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme.
L’illettrisme touche en France 1 Français sur 10, de 17 à 25 ans. La lutte contre cette “insécurité linguistique” est le grand combat d’Alain Bentolila. Il s’agit pour lui d’un véritable handicap qui conduit à l’exclusion, à la révolte, parfois à la violence, et favorise l’enfermement dans un ghetto social et un communautarisme croissant.
A 18h45
Ouvrages d’Alain Bentolila :