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Autonomie et dépendance, Jean Zin

jeudi 23 février 2006
 

Nous partirons de la question de la liberté (de la liberté comme question et apprentissage) pour délimiter une autonomie qui est toujours partielle mais caractérise le vivant, autonomie inséparable de l’information et de finalités concrètes, d’une causalité qui part du futur et de l’effet recherché. Il n’y a donc pas d’autonomie sans dépendances, mesurées aux réserves disponibles et aux capacités de captation des ressources pour atteindre ses objectifs, et donc d’intégration à un flux. Les mythes d’autonomie absolue et de libération de nos dépendances sont d’essence religieuse. La question qui doit se poser à chaque fois est celle de savoir qui est autonome : l’individu, le marché ou le collectif ?

Nous aborderons ensuite, à partir de l’oeuvre de Marcel Gauchet, le mouvement historique de perte de légitimité, de détraditionalisation et de modernisation qui aboutit à l’individualisation et à l’autonomisation des champs politiques puis économiques. A mesure que l’autonomie démocratique se substitue à l’hétéronomie religieuse, les limites de l’autonomie s’imposent sous la forme de l’inconscient et des conditions historiques ou sociales. L’autonomie du citoyen n’est pas dans le caprice mais dans la raison universelle indépendante des particularités individuelles mais encore plus contraignante. De même l’autonomie du droit, des sciences ou des arts signifie une dépendance plus grande à l’autoréférence et aux contraintes spécifiques du champ. Ainsi une dépendance unilatérale (économique) se substitue aux interdépendances sociales.

Avec Norbert Elias (et Freud) on comprend que l’autonomie de l’individu a pour contrepartie une intériorisation des contraintes, une précarisation de son statut et une multiplication de ses dépendances, une civilisation des moeurs qui est refoulement de ses instincts. L’autonomie consiste essentiellement à jouer une dépendance contre une autre ou à les neutraliser réciproquement. Avec Louis Dumont on constate d’ailleurs que la société marchande échange la dépendance des personnes dans les sociétés hiérarchiques, qui procurent une relative indépendance des choses, contre une indépendance des personnes qui se paye par une complète dépendance des choses (pas de subordination salariale sans la liberté du prolétaire dépossédé de tout). Enfin avec Michel Foucault on peut dire qu’il n’y a pas de liberté sans pouvoir qui la contraint, pas de parole sans discours institué. C’est la liberté qui engage, c’est l’autonomie qui rend responsable.

Ce parcours historique devrait permettre d’éclairer la dialectique entre autonomie et dépendance, ainsi que la nature contradictoire de l’injonction contemporaine d’être autonome, double bind d’une autonomie subie doublement aliénante et qui peut servir à manipuler les gens. On peut illustrer cette dialectique par les rapports amoureux, les drogues ou les marchés pour revenir à la boucle d’auto-éco-(ré)organisation (Varela, Morin). L’autonomie de mouvement, toujours partielle, d’un individu dépend de son intégration aux régulations sociales, à leur hiérarchie de niveaux d’autonomie parcourus par des informations plus ou moins impératives (code de la route), mais l’autorégulation par l’autonomie, c’est-à-dire par l’information, est indispensable au-delà d’une certaine complexité. Dans ce cadre l’autonomie s’identifie aussi bien à la santé qu’à une forme de conscience lucide alors que la dépendance manifeste maladie et perte de jugement, notions toutes relatives et normatives. On s’intéressera aussi aux "modules de dépendance" qui assurent la symbiose des organismes multicellulaires (Ameisen) et l’élimination des neurones inactivés, l’autonomie d’un niveau d’organisation supérieur nécessitant un certain asservissement de ses composants.

Nous essaierons de conclure sur l’actualité de l’exigence d’autonomie à l’ère de l’information (Gorz) et sur ses conditions sociales ou ses pathologies (Ehrenberg), sur la production de l’autonomie et son organisation (revenu garanti et développement humain) ainsi que sur le projet d’autonomie de la démocratie (Castoriadis) avec l’opposition entre autogestion et auto-organisation (auto-nomie et libéralisme).

Jean Zin, Philosophe et écologiste, Fondateur de la revue écologiste EcoRev’ (2000), membre du Groupe de Recherche Inter et Transdisciplinaire (GRIT-Transversales) depuis 2002.

A 18h à la Bibliothèque de Marseille à Vocation Régionale (Alcazar)